Le valet de Sade de Nikolaj Frobenius
-- L'histoire se déroule au XVIII siècle. Un enfant au regard terrifiant, nommé Latour, naît d'un viol à Honfleur. Sa mère, Bou-bou, l'élève seule et se rend compte au fil des jours qu'il est totalement insensible à la douleur. Sa jeunesse va l'amener à travailler avec un taxidermiste, ce qui va l'initier aux mystères du corps animal et humain. Il va ensuite quitter sa Normandie natale accompagné d'une prostituée pour s'installer à Paris. Il vit alors dans les bas-fonds de la capitale et fait tout pour améliorer ses connaissances en anatomie.
Cette chronique contient du spoil : elle vise à l'analyse un peu plus approfondie des protagonistes du récit et ne peut se passer de certains détails.
Le valet de Sade : ou l'histoire d'un tueur en série fasciné par la douleur. Dès son jeune âge donc, comme l'indique le résumé du roman, Latour ne ressent pas la douleur physique. Les messages nerveux ne circulent pas jusqu'à l'amygdale, mais cela bien sur, il n'en a aucune idée. Les connaissances scientifiques sur un sujet aussi complexe que le cerveau humain ne vont pas bien loin au XVIII siècle.
Et c'est ce sujet qui fascinera Latour pour le reste de sa vie.
Latour est un personnage complexe dans ses vices et ses émotions. Tueur de petits animaux dès l'enfance et miroir du complexe d’œdipe (un enfant ambitionnant de tuer l'amant de sa mère pour rester seul avec elle), il se mue au fil des années en homme torturé. Fasciné par la douleur physique, il fera face à celle-ci sous toutes ses formes.
Par le meurtre premièrement, en se basant sur une liste de noms tirée des affaires de sa génitrice malheureusement décédée : une bête "faute à pas de chance". Il tuera les huit personnes nommées dans avec autant de discrétion que de professionnalisme. A ses yeux, ce ne sont pas des meurtres mais simplement une étape nécessaire pour mener à bien ses expériences scientifiques. Il se focalisera sur une seule partie du corps humain en particulier : le cerveau. Avec le plus grand des soins il disséquera, muni de ses pinces et scalpels, dans l'espoir de comprendre quelle zone du cerveau génère la douleur. Dans l'espoir d'un peu mieux comprendre ce qui fait tant hurler les autres mais qui lui, le laisse insensible.
Cependant en rencontrant le valet de Sade, l'expérimentation de cette douleur ne se fera pas qu'à travers le meurtre mais également à travers la sexualité. Car Sade, tel qu'on le connait au delà même du roman, est un homme lubrique rongé par le vice. Il n'y a pas une seule marque de débauche qu'il n'aura pas pratiqué,pas une seule paraphylie qu'il n'aura pas au moins expérimentée d'une manière ou d'une autre...et Latour va être le serviteur de cet homme.
Le marquis de Sade est représenté dans le roman de Nikolaj Frobenius tel qu'on le connait : romancier voué à l'anathème en raison de ses œuvres à caractère trop pornographique, violent et souvent déviant pour laisser indifférent.
Mais dans l'histoire romancée que nous conte Frobenius, Latour se mêle à la vie de Sade. Il est témoin de ses orgies en plus d'en être le serviteur. Ce qu'il y a de coquasse cependant c'est qu'en dépit de tous les vices qui habitent le marquis, son valet parviendra à le surpasser allant même jusqu'à l'horrifier. C'est ce qui fait de Latour un personnage si complexe, sale sous bien des aspects et souvent repoussant mais jamais quelconque et toujours intéressant. La sexualité est à ses yeux parfois un exutoire, parfois une souffrance. Au fil du récit le poids des pêchés auquel il était accrocs lui pèse et le font souffrir de plus en plus...et nous, modeste lecteur, nous suivront la déchéance de ce personnage qui a tout du monstre et qui nous tire dans les profondeurs de sa personnalité.
Pour finir, je citerais ses mots lorsqu'il dépeindra une des orgies du marquis :
"Ce qui se déroule dans ce château fermé, pensai je, est le protocole d'une époque malade. Plus rien n'a de valeur. Les femmes y deviennent hommes, les hommes femmes, le mal est le bien, le bien est le mal, et Dieu le plus grand pêcheur parmi tous les pêcheurs. Le désir est le seul moteur de l'existence des individus, et le désir mène toujours à la mort."
La plume de l'auteur est quand à elle extrêmement belle. Elle choque, incite au dégout et malmène le lecteur aussi bien qu'elle le porte. De ce point de vue l'auteur s'en est également sorti avec brio.
Merci d'avoir lu !
Commentaires
Enregistrer un commentaire